Rencontres

Gilles Mermet – ambassadeur des toits de Paris

Photographe et amoureux des toits de Paris

Journaliste, reporter, photographe, Gilles Mermet s’impose comme un ambassadeur des toits de Paris. Président du comité de soutien à la candidature des toits de Paris au Patrimoine Mondial de l’Unesco, il nous raconte ce beau projet, sa genèse, son développement et surtout sa réorientation : désormais c’est sur le métier de couvreur que se porte le projet d’une inscription sur la liste du Patrimoine culturel immatériel.

 

 

Pouvez-vous nous résumer en quelques mots votre parcours ?

Sur le plan professionnel, je suis à la fois photographe et journaliste. J’ai également un long parcours dans le domaine de la presse magazine en tant que photographe reporter et journaliste, j’ai écrit pour des magazines tels que Géo, National Geographic ; j’ai aussi travaillé pour le Figaro Magazine. À 28 ans, je suis devenu totalement indépendant, avec mes propres clients à qui je proposais de faire des reportages. Je leur fournissais des reportages photos et textes, sur des sujets plutôt culturels et dans le monde entier, j’ai ainsi voyagé dans beaucoup de pays ! Les histoires que j’en rapportais étaient publiées dans un ou deux magazines français, et j’avais un réseau de magazines étrangers (en Espagne, aux Etats-Unis, en Italie, et surtout en Allemagne, puisque je travaillais essentiellement avec le Géo allemand, un très beau picture magazine européen, un des plus beaux à mon sens). J’ai ainsi travaillé une grande partie de ma vie de photographe journaliste avec ces gros magazines français et étrangers.

Puis j’ai voulu travailler pour l’édition et faire des reportages d’art ; pour cela j’ai investi dans une chambre photographique.

Je me suis orienté sur la peinture murale ancienne fragile et très délicate ; je suis donc parti faire des photos dans les monastères tibétains et dans les temples thaïlandais afin de voir des peintures du 16e ou 17e siècle, moins abîmées à l’époque qu’aujourd’hui ; ces photos ont permis en quelque sorte de référencer ces œuvres d’art qui étaient vouées à la disparition. J’ai essayé de protéger par l’image des œuvres qui faisaient partie du patrimoine de l’humanité. Avec ces photos, j’ai aussi réalisé des livres d’art pour les Editions de l’Imprimerie Nationale. Le dernier en date que j‘ai pu faire était consacré aux chefs-d’œuvre de la sculpture gréco-romaine et des sites antique de Libye, juste avant la guerre : ce fut un de mes derniers travaux véritablement en argentique, où j’ai pu mettre en valeur ces chefs-d’œuvre par la lumière, ayant emporté toutes sortes de flash. Ces reportages demandaient de retourner trois ou quatre fois sur place ; j’y laissais même parfois mon matériel. C’était des grosses missions : pour la Libye par exemple, je travaillais en collaboration la Mission Archéologique Française soutenue par le Sénat et encadrée par le ministère des Affaires étrangères. C’était vraiment encadré, mais cela n’enlevait rien à la part d’aventure ! « Libye antique, un rêve de marbre » est livre de référence dans ce domaine, salué par la critique. En revanche, pour d’autres reportages comme le Mexique, j’y allais complètement à l’aventure : il fallait seulement les autorisations pour rentrer dans le pays avec le matériel et des autorisations sur place : impossible de se rendre avec un studio photo entier dans un monastère, sans avoir un papier !

Mon parcours m’a amené à faire aussi un peu de télévision : j’ai travaillé 2 ans comme réalisateur dans l’émission Ne faut pas rêver sur France 3 : j’étais réalisateur, je partais avec un très bon cameraman pour faire des petits sujets de 15 minutes sur la culture en général.

Enfin, j’ai fait beaucoup de photos pour le Muséum National d’Histoire naturelle. J’ai photographié en studio certaines de leurs collections pour en faire de beaux livres d’art : des collections d’insectes, de plantes, de crabes, de coquillages… Grâce à cela, j’ai monté des expositions de grands tirages dans des parcs, dans toute la France, sur des thématiques du Muséum. On peut dire que la photo m’a amené à des choses très différentes.

 

« Aujourd’hui je suis fier de ce livre parce que je sais qu’il a répondu à l’attente des commanditaires du syndicat des couvreurs : réaliser un outil de communication destiné aux jeunes, pour leur faire découvrir ce métier méconnu et leur donner l’envie, à travers les images et les textes, de monter sur les toits. »

 

Photographe, journaliste, réalisateur de reportage… vous possédez de multiples casquettes, et notamment celle de Président du comité de soutien à la candidature des toits de Paris au patrimoine de l’Unesco. Pouvez-vous nous raconter l’émergence de ce projet ? Qu’en est-il aujourd’hui  ?

Pour en venir aux toits de Paris, un jour une amie m’appelle pour me dire qu’un membre de sa famille, travaillant au syndicat des couvreurs (le G.C.C.P.) cherchait un photographe reporter qui aurait envie de faire un sujet sur le métier de couvreur et sur les toits de Paris. Elle m’a demandé si cela m’intéressait, et je lui ai répondu que c’était un sujet magnifique et génial pour lequel j’étais prêt à faire un livre. J’ai par la suite rencontré les gens du syndicat, à qui j’ai montré quelques-uns de mes reportages. Ils m’ont dit que c’est ce regard qu’ils voulaient, à savoir un regard décalé, artistique, pas seulement « technicien », mais un peu journalistique aussi, sur leur métier.

Aujourd’hui je suis fier de ce livre parce que je sais qu’il a répondu à l’attente des commanditaires du syndicat des couvreurs : réaliser un outil de communication destiné aux jeunes, pour leur faire découvrir ce métier méconnu et leur donner l’envie, à travers les images et les textes, de monter sur les toits. A travers ce livre, je pense que j’ai redonné une légitime fierté aux couvreurs pour leur beau métier. Après la parution du livre, certains couvreurs m’ont rappelé, pour me dire que même si je les avais parfois embêtés sur les toits (parce que je les suivais partout, je traînais dans leurs « pattes », et pourtant j’essayais d’être discret), ils voulaient me remercier. Ils ne savaient pas du tout ce qu’allait donner ce projet. Je venais prendre des photos, mais ils ne voyaient pas l’avancée de mon travail. Ils ont découvert le livre au moment de sa parution. Ils m’ont dit qu’ils s’étaient sentis fiers parce qu’ils s’y sont vus, et surtout qu’ils ne s’attendaient pas à ce que leur métier soit l’objet d’un aussi beau livre. Ils en ont ressenti beaucoup de fierté. Je me suis donné à fond pour ce livre, et j’ai ainsi eu de magnifiques retours.

 

 

Ce livre a été votre premier contact avec les toits parisiens. Qu’est-ce qui vous a amené finalement à vous occuper du dossier de Candidature de « l’Art des couvreurs parisiens » au Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO ?

Vous savez, la vie ce n’est finalement que des rencontres, des opportunités…pourquoi tout d’un coup les toits de Paris ? Tout est parti de mon livre. Fin 2014, Canal+ m’appelle, me parlant de mon livre sur les Toits de Paris et me disant qu’il existait peu d’ouvrages sur ce sujet. Delphine Bürkli, la maire du 9e arrondissement, venait de faire voter, le 1er Octobre 2014, un vœu au Conseil de Paris, à savoir inscrire les toits de Paris au Patrimoine Mondial de L’UNESCO. Son vœu avait été voté à l’unanimité ! Je n’étais pas du tout au courant de ce projet, mais j’ai trouvé l’idée bonne et audacieuse. La chaîne l’avait interviewée et voulait avoir le récit de mon expérience sur les toits pour le journal de 19h. Delphine Bürkli et moi-même avons été interviewés dans le même sujet d’actualité. Et c’est très naturellement que nous nous sommes rencontrés par la suite. Elle m’a parlé de son projet de monter un comité de soutien autour de la thématique de l’inscription des toits de Paris à l’UNESCO ; je lui ai répondu que j’étais intéressé pour participer à ce projet, et qu’elle avait tout intérêt à contacter le syndicat des couvreurs (G.C.C.P.). Ils pouvaient soutenir le projet, établir des partenariats… Une fois que la maire a fait voter son vœu, la machine était lancée. Un peu plus tard on a organisé un petit déjeuner de presse autour des toits de Paris, sujet qui a attiré beaucoup de journalistes. C’était aussi une façon d’échapper à la morosité ambiante après les attentats du 7 janvier 2015. On a assisté à une conférence de presse très animée, avec des journalistes qui venaient même de l’étranger, des correspondants de presse… nous étions à la fois contents et étonnés de voir que les toits de Paris attiraient du monde. À partir de ce moment-là, le projet a pris énormément d’ampleur : toutes les grandes chaînes de télévision nous ont contacté pour qu’on les fasse monter sur les toits, pour qu’on leur raconte notre projet d’ inscrire les Toits de Paris au Patrimoine Mondial de l’Unesco.

Delphine Bürkli m’a demandé de présider le comité de soutien, j’ai donc mis le pied à l’étrier : durant toute l’année 2015, j’ai travaillé sur ce projet, à travers le site internet, les contacts avec les adhérents, j’ai dû trouver des fonds, trouver du contenu, faire des courriers, des interviews d’architectes en chef des monuments historiques pour qu’ils puissent confirmer que les toits de Paris constituent un véritable patrimoine en tant que tel. J’ai ainsi pu rencontrer l’architecte en chef de Notre-Dame de Paris et des Invalides. J’ai passé l’année 2015 à m’occuper bénévolement de ce projet, tout cela en continuant de prendre des photos et en commençant à rédiger un projet pour le Ministère de la Culture, afin de faire inscrire notre projet sur la liste indicative, 1e étape avant l’UNESCO.

 

 

Pourquoi a-t-on changé le projet ? Que s’est-il passé ?

C’est une bonne question !  J’ai donc travaillé toute cette année 2015, avec cette difficulté de ne pas avoir le soutien franc de la Mairie de Paris en tant que telle, c’est-à-dire d’Anne Hidalgo et de Bruno Julliard.  Après le vote à l’unanimité au Conseil de Paris, ils ont commencé à exprimer une réticence sur le projet bien que le vote à l’unanimité de tout le Conseil de Paris nous soit acquis.  Un avis favorable de tous les Maires d’arrondissements et des conseillers, ce n’est pas rien ! Après les attentats, je pense qu’on avait tous besoin de projets qui fassent un peu rêver…

Nous nous étions partagé la rédaction du dossier que nous devions monter, non pas pour l’UNESCO directement, mais tout d’abord pour être inscrit sur la Liste Indicative des biens français, du Ministère de la Culture. Il s’agissait d’un dossier assez pointu d’une centaine de pages. Afin de me faire aiguiller, je suis allé, avec le comité de soutien, rencontrer la responsable des dossiers du Patrimoine mondial au Ministère de la Culture. Elle nous a reçus au mois de janvier 2016, alors que nous avions passé une année à travailler. Nous étions une petite équipe de six ou sept personnes dans son bureau, et elle nous a clairement dit que nous allions droit dans le mur ! Nous avions trois obstacles : tout d’abord la Mairie de Paris. Pour le ministère, le sujet avait été clos dès lors qu’Anne Hidalgo avait désapprouvé le projet. Le second obstacle, et le plus important, c’était l’UNESCO en tant que tel. « Paris, Rives de la Seine » est un site qui a été classé au Patrimoine mondial en 1991. Il intègre les ponts, les monuments de la rive droite et de la rive gauche, de Notre-Dame jusqu’à la tour Eiffel en passant par le Louvre et les Invalides et qui racontent un millénaire de l’Histoire de Paris. C’est un site prodigieux !  Mais il n’y a pas une seule plaque quelque part qui atteste de cette appartenance, ni un chargé de mission à la Mairie de Paris dédié  au lien avec l’organisation international pour les nouveaux projets concernant les voies sur berge. Paris semble faire peu de cas de ce label. l’UNESCO se sent mis sur la touche, et souhaite qu’avant de penser à faire classer les Toits de Paris, il faudrait commencer par valoriser ce premier classement de 1991. Le deuxième obstacle est énorme, bien plus que le premier, d’autant qu’il est clairement politique. Le troisième et dernier obstacle est un peu plus technique : le comité de soutien du IXe arrondissement ne peut pas être porteur du projet car il n’est pas assez solide face à un sujet si important. Il faudrait une administration comme celle de la Marie de Paris.

 

Quels étaient les arguments d’Anne Hidalgo pour ne pas soutenir le projet ?

Anne Hidalgo, finalement, quand les gens l’interviewaient sur cette question, disait qu’elle ne voulait pas que Paris soit « dans le formol », elle ne voulait pas qu’il y ait une sorte de chape de plomb qui tombe sur Paris et qu’on n’ait plus la possibilité de faire quoi que ce soit sur les toits sans demander l’accord l’UNESCO. Sa volonté était simple : garder sa liberté pour concilier urbanisme, projets novateurs et architecture durable, sans avoir des institutions internationales qui posent leur veto à chaque fois, sous prétexte que c’est « patrimoine mondial », c’est une position qui se défend.

Faire classer les toits, cela revient à toucher plusieurs arrondissements, des centaines de milliers de personnes, qui pourront interférer sur la mise en place d’antennes, de relais téléphoniques, etc. Et c’est nous, porteurs du projet, qui devriont répondre aux dizaines et dizaines de lettres reçues chaque jour, par le biais d’une administration dédiée au projet. Nous n’étions pas conscients de tout cela, de tout ce que cela impliquait réellement. Seule la Mairie de Paris peut gérer une machine comme celle-ci, et non une simple mairie d’arrondissement.

Autre difficulté, quoi classer exactement ?  Un arrondissement ? Mais chaque arrondissement a des toits moches et sans intérêt, qui ne méritent pas d’être classés. Il aurait fallu trouver des îlots particuliers dans Paris qui représentent un patrimoine exceptionnel et universel. Sélectionner des îlots de toits d’immeubles haussmanniens avec le concours d’architecte en chef des Monuments historique qui puissent légitimer cette sélection dans le tissu urbain. Nous étions en fin de compte dans une vision romantique, à travers le cinéma, la peinture, la littérature. Je me suis rendu compte qu’on était vraiment devant un mur, et que ce projet semblait nous dépasser. C’est alors que la responsable des dossiers du Patrimoine mondial nous a dit qu’elle verrait bien notre projet sur la convention de 2003. Au lieu d’échouer avec l’inscription au Patrimoine Mondial, on pourrait commencer par mettre en valeur le métier de couvreur, en l’érigeant au rang de Patrimoine culturel immatériel. Les responsables du syndicat des couvreurs étaient bien sûr ravis, car le métier pouvait s’approprier un peu plus le projet. On a basculé du bâti au savoir-faire. Le projet s’est réorienté, et c’est désormais ce que l’on essaie de faire.

« Autre difficulté, quoi classer exactement ? Un arrondissement ? Mais chaque arrondissement a des toits moches et sans intérêt, qui ne méritent pas d’être classés. Il aurait fallu trouver des îlots particuliers dans Paris qui représentent un patrimoine exceptionnel et universel. « 

 

Avez-vous réussi à passer la barrière de la Mairie de Paris après ce changement de cap ?

Il n’y a plus les mêmes contraintes ! On met en valeur un métier qui souffre aujourd’hui d’un manque de recrutement car les jeunes ne veulent plus monter sur les toits. Tout ce qui va être en faveur de la communication autour de ce métier est bon à prendre, aussi bien pour le syndicat, pour les entreprises de couverture, que pour la Mairie de Paris. Après cette réorientation du projet, nous ne l’avons pas sollicitée car c’est la communauté de métier qui doit en être porteuse. Et donc, c’est avec cette communauté de métiers aujourd’hui que nous sommes en train de finaliser un dossier d’une cinquantaine de pages qui racontent la technicité particulière du savoir-faire du couvreur parisien, en montrant l’identité de cette communauté de métier à travers les actes de transmission du savoir-faire, et à travers les écoles du compagnonnage. Ce dossier va être présenté devant une commission du Patrimoine culturel immatériel du Ministère de la Culture, qui statuera immédiatement. Nous serons, je l’espère, prochainement inscrits sur l’inventaire des biens culturels immatériels français. Si tout se passe bien, nous serons non pas inscrits au Patrimoine Mondial de l’Unesco, mais Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Le vocabulaire est important, sinon on se mélange les pinceaux ! Nous présentons notre candidature pour être d’abord inscrits à l’inventaire culturel des biens immatériels français, 1ère étape avant de présenter notre candidature à l’UNESCO. Il y a actuellement une soixantaine de biens inscrits sur la liste de cet inventaire français et une dizaine qui sont entrés sur la liste de l’UNESCO.

 

 

Pourquoi selon vous Paris et ses toits auraient-ils été dignes d’être classés au Patrimoine Mondial de l’UNESCO  ?

C’est justement toute la difficulté, il faut bien s’entendre sur ce que chacun entend par Toits de Paris ! Pour chacun, les toits évoquent quelque chose de différent, selon sa propre sensibilité à la peinture, à la poésie ou à la photographie. Je pensais pouvoir inscrire en tant que patrimoine mondial ce qui faisait la spécificité d’un paysage parisien type, à savoir le paysage haussmannien, cette espèce de voile, de grand océan gris calme. Avant l’apparition des immeubles haussmanniens recouverts de toits dits « à la Mansart », c’est à dire avec un terrasson presque plat en zinc, Paris était recouvert de toits pointus. C’était le paysage des toits de Paris depuis le Moyen Age. Victor Hugo le qualifiait de « mer agitée » car il y avait des pics partout, comme il le décrit dans Notre-Dame de Paris. Après le passage d’Haussmann, dans la 2ème moitié » du XIXème siècle, les toits étaient beaucoup plus plats, beaucoup plus gris ;  cette « mer » est devenue plus calme, apaisée.  Aujourd’hui, l’harmonie de tous ces gris qui changent avec les couleurs du ciel, cette uniformité des hauteurs des immeubles d’où émergent les monuments de Paris, constituent pour moi, un véritable patrimoine. On doit ce patrimoine en grande partie à la qualité des savoir-faire des couvreurs parisiens. Le détail du travail bien fait par un couvreur sur un toit, constitue, de toits en toits, un paysage unique au monde et qui devient un patrimoine exceptionnel.

 

En tant que photographe et journaliste, vous avez durant votre carrière, parcouru le monde : en quoi les toits de Paris vous paraissent si uniques au point de vue mondial ?

Pour moi la spécificité parisienne, c’est l’unité. Comme le disait l’architecte en chef Benjamin Mouton : « Paris c’est l’intelligence d’une hauteur », car tous les immeubles ont entre 20 et 24 mètres de hauteur. L’intelligence réside dans cette volonté d’Haussmann de ne pas dépasser une certaine taille, pour éviter de casser la beauté de certains reliefs, les tours, les bulbes, les dômes. En dessous de ce niveau, il y a des toits en tuiles et en ardoises qui renvoient à une histoire plus ancienne. Ce sont ces strates, ce grand paysage gris, avec son unité et ses trouées qui racontent Paris. Et c’est cet ensemble qui pour moi constitue un patrimoine. Les toits de Rome, de Florence ou de Venise sont magnifiques mais sont complètement différents, aucune autre ville n’a des toits semblables aux toits de Paris.

 

« Cela fait partie du charme fou des toits : quand on y monte, il y a la vieille antenne toute cassée, les vieux trucs qui ne servent plus à rien mais qui ne gênent personne… il y a des cheminées de toutes les formes, des choses brinquebalantes ; mais on a en toile de fond l’Opéra de Paris, la Tour Eiffel… »

 

Pensez-vous qu’avec ce projet le métier de couvreur soit encore plus valorisé, et considéré non seulement comme un métier de tradition mais une profession d’avenir ?

La communication faite sur un métier avec les outils modernes (vidéos, photos, sites internet…) valorise forcément le métier. Avant on ouvrait des livres, aujourd’hui on allume des écrans, mais ce sont toujours des images qu’on transmet. En écrivant des articles, en filmant des toits, on suscite l’intérêt des jeunes. D’autant plus que ce n’est pas un métier très visible étant donné qu’on ne voit pas les couvreurs, on ne les voit pas travailler. Pour moi les outils modernes permettent cette valorisation. A l’époque, le syndicat avait voulu faire cela avec le livre que nous avons réalisé ensemble et qui s’est retrouvé dans tous les centres de formation ; les jeunes le feuillettent, le consulte. Cette communication permet de susciter à travers l’image et la vidéo la curiosité, de voir à quoi ressemble vraiment le métier et à faciliter les choix, créer des vocations peut-être ? Une inscription au patrimoine de l‘Unesco constitue un éclairage formidable sur Paris, sur le métier de couvreur, et sur leur savoir-faire.

 

Vous avez écrit « entre Paris et ses couvreurs, c’est un mariage d’amour et de raison ». Pouvez-vous nous expliquer en quoi il s’agit d’un « couple solide, gage d’éternité », selon vos propres termes ?

C’est un couple particulier. Quand on a voulu inscrire les couvreurs au Patrimoine culturel immatériel, ce qui me semblait vraiment intéressant à montrer était cette parfaite maîtrise de plusieurs matériaux, la pluridisciplinarité des savoir-faire. Un mariage de raison : Paris a un besoin impératif de ses couvreurs et réciproquement. Les toits de Paris offrent du travail à qui sait aimer ce métier. Un mariage d’amour : entre les toits et les couvreurs, il y a la transmission d’un amour pour le travail bien fait. Les toits sont exigeants ; ils doivent être respectés, aimés pour s’inscrire dans un héritage patrimonial. Le couvreur respecte ce patrimoine et lui donne le meilleur de son savoir-faire. Après des années d’apprentissage et de pratique, de volonté, de concentration, d’attention, les couvreurs acquièrent une parfaite maîtrise.  Unanimement, ils expriment la passion pour leur métier et pour le lieu magique où ils l’exercent. Leur passion est à la hauteur de la beauté des lieux et de l’exigence de bien les restaurer. Mariage d’amour parce que, finalement, sur les toits de Paris, ne n’ai rencontré que des couvreurs qui aiment leur métier donc, des hommes heureux. Chaque nouveau chantier représente pour chacun d’eux des occasions de réfléchir ensemble et de trouver des solutions d’après des expériences personnelles, et c’est à chaque fois différent : c’est fascinant ! On ne s’ennuie jamais sur les toits.

 

Vous montez régulièrement sur les toits de Paris pour les prendre en photos ; y a-t-il un horaire particulier, un lieu spécifique d’où vous aimez les contempler ?

En tant que photographe, monter sur les toits, c’est toujours l’excitation d’une découverte. Quand vous ne connaissez pas tel chantier et qu’on vous donne le privilège d’y avoir accès, c’est escalader l’échafaudage, cette attente, ce temps, cette excitation au petit matin de se dire : que vais-je découvrir là-haut ? Et quand on arrive et qu’on découvre Paris, c’est tout d’un coup une vue magnifique. Au premier plan, il y a ce qu’on a directement sous les pieds, à savoir le travail des couvreurs, qui est beau à voir et à photographier; et au-delà ce sont les toits, les paysages, les perspectives. Quel que soit l’endroit, on se repère immédiatement grâce aux monuments. La grande découverte, c’est de voir la perspective des monuments les uns par rapports aux autres ; elle est à chaque fois différente. Avec des techniques photographiques, par l ‘effet du télé objectif, on peut « rapprocher » deux époques, mettre sur un même cliché Notre-Dame de Paris avec la butte Montmartre et le Sacré-Cœur. On peut faire des rapprochements ou des grandes vues panoramiques, avec ce grand océan de toits, ou au contraire immortaliser la petite fenêtre entourée de zinc avec son pot de fleur, ce qui donne de la vie.

Il y a surtout sur les toits cette impression très particulière de grande solitude. Il est rare de croiser quelqu’un qui vous fait signe ; vous avez la ville pour vous, on ne voit ni les avenues ni les rues ; il n’y a presqu’aucun bruit, sauf parfois les sirènes des pompiers. Sinon c’est un petit brouhaha continue et jamais agressif. Le paysage est émoussé, le son aussi, on est un peu comme sur un bateau. C’est un privilège de se dire qu’on fait une photo unique avec une lumière particulière, étant donné que je suis pratiquement le seul à monter sur tel ou tel toit. Je n’aime pas photographier les toits sous un ciel complètement bleu. Au contraire, quand le temps est nuageux, les cumulus habillent le ciel de Paris, lui donnent un volume. Et les couleurs du ciel se reflètent dans le zinc, créant un camaïeu de blanc et de gris si parisien.

Il y a quelque chose de sensuel et de physique à être avec les semelles de ses chaussures (antidérapantes !) sur les toits ; cela n’a rien à voir avec l’impression que l’on peut ressentir du haut des tours de Notre-Dame ou de Beaubourg. Là on est SUR les toits, on peut les toucher. On peut apprécier et admirer au premier plan la qualité du travail des couvreurs. Et puis, comme la vison des rues et des avenue à disparu, on a cette impression magique qu’on peut traverser Paris de toit en toit, il se produit une espèce de magie qui fait travailler l’imagination. Fantomas n’est pas loin…

Vous avez écrit « les toits de Paris, c’est tout Paris à la fois, une entité à prendre dans son ensemble, avec ses merveilles mais aussi ‘ses verrues et ses tâches’ » : le charme des toits parisiens viendrait-il donc de ce savant alliage entre le riche et le pauvre, le bourgeois et le bohème ?

J’ai repris ce que disait Montaigne dans ses Essais « j’aime Paris tendrement, jusqu’à ses verrues et ses tâches », phrase que je trouvais très belle. Cela fait partie du charme fou des toits : quand on y monte, il y a la vieille antenne toute cassée, les vieux trucs qui ne servent plus à rien mais qui ne gênent personne… il y a des cheminées de toutes les formes, des choses brinquebalantes ; mais on a en toile de fond l’Opéra de Paris, la Tour Eiffel… ces contrastes font partie de Paris, même si parfois on se dit que c’est dommage. Il faudrait faire un peu de tri sur les toits. Mais ça fait partie de leur charme. J’aime bien l’idée que là-haut c’est un peu de bric et de broc, le magnifique côtoie le chaotique.

 

Avez-vous un souvenir sur les toits en particulier qui vous a marqué et que vous aimeriez partager ?

Comme il m’est arrivé d’aller plusieurs fois au même endroit, j’ai pris beaucoup de plaisir à voir le même paysage parisien sous des angles et des lumières différents, c’est une expérience intense, surtout lorsqu’on prend conscience qu’il n’y aura bientôt plus les échafaudages et qu’on ne pourra plus y aller, et d’être en quelque sorte un « voleur » d’images. C’est comme si on était monté comme un chat. La fascination tient dans la multiplicité de vues possibles à l’infini, avec cette idée très égoïste que ces paysages, ces perspectives que vous êtes seuls à voir du haut de votre chantier éphémère, vous appartiennent. Je me les approprie.  Cette multiplicité des possibles me rappelle un poème de Verlaine : « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant/ D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime /Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même /Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend». Eh bien, c’est un peu ça Paris : ce n’est jamais tout à fait la même vue que la précédente ni tout à fait une autre…