Rencontres

Simon Nogueira (French Freerun Family)

Un freerunner sur les toits de Paris

Les cascadeurs des toits de Paris

Freerunner depuis l’école secondaire et égérie du collectif French Free Run Family, Simon Nogueira nous a raconté sa passion quelque peu insolite d’arpenter les toits parisiens en y faisant des figures ou d’autres mouvements, qui peuvent apparaître comme extrêmement dangereux pour des non-initiés. Pour lui, monter sur les toits ne relève pas de l’extra-ordinaire, étant donné que cet adepte de freerunning y monte tous les jours. Entre passion et sport extrême, retour sur le parcours étonnant et atypique d’un jeune freerunner.

 

Être freerunner, est-ce un rêve d’enfant pour vous ? Comment en êtes-vous arrivé là ?

J’ai toujours été quelqu’un qui utilisait beaucoup son corps, je suis depuis longtemps très sportif, j’adore escalader, grimper, courir. Quand j’étais plus jeune, j’escaladais les façades de l’école, ça m’amusait énormément ! En grandissant je voyais sur internet de plus en plus de vidéos de jeunes qui s’exerçaient au freerunning et qui faisaient des choses absolument incroyables. Je n’en étais pas du tout rendu à ce stade, et je me suis dit qu’il fallait absolument que j’imite ce qu’ils faisaient !

De fil en aiguille, je me suis approprié les mouvements que je voyais sur ces vidéos et je les ai reproduit avec le corps que j’ai et l’espace que je côtoie. J’habitais en banlieue parisienne, à 50km de Paris, , et par la suite j’ai déménagé à Paris, parce que l’architecture comprend bien plus de formes, d’obstacles. Quand je n’avais pas école, je prenais le train pour Paris, et j’allais m’entraîner à la Défense, à Bercy, et dans d’autres spots ; ma scolarité achevée, j’ai commencé vivre de cette discipline. J’habitais à Paris, avec un hamac et un sac de couchage ! Je voyageais beaucoup, alors entre deux destination, je revenais à Paris ; pendant ces jours de transition, ou bien j’allais voir des amis ou bien, si je voulais me retrouver tout seul, j’allais dormir sur les toits. Désormais j’ai un appartement à Paris, mais encore maintenant je me retrouve souvent à dormir sur les toits.

Depuis je continue à faire ce que j’aime, le « freerunning » : sur internet on voit beaucoup de noms pour désigner cette discipline : le freerun, le parkour, l’art du déplacement… pour ma part je m’en suis fait ma propre définition, et j’exerce ce qui me plaît avec des capacités physiques qui demandent beaucoup d’entraînement, que j’effectue dans le cadre extraordinaire qui m’environne, celui de Paris.

 

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« J’exerce ce qui me plaît avec des capacités physiques qui demandent beaucoup d’entraînement, que j’effectue dans le cadre extraordinaire qui m’environne, celui de Paris. »

Où avez-vous commencé à vous entraîner ?

J’ai commencé à m’entraîner par terre, et c’est une fois que j’ai acquis des compétences au sol, et surtout une confiance en moi et en mes capacités que je me suis permis de monter en hauteur. Je m’expose au vide uniquement parce que j’ai l’assurance d’avoir fait suffisamment d’entraînement au sol, je sais que je peux le faire.

En terme de localisation, j’ai commencé à m’entraîner à Bercy, autour de la fontaine du Palais Omnisport, du côté de la Défense, sur les quais de Seine à Austerlitz, à Javel…

Au début j’ai beaucoup fréquenté les endroits où la communauté de pratique du Freerun ou du Parkour se retrouvait, dans des spots comme la fontaine de Bercy, car cet endroit offre beaucoup d’obstacles accessibles, qui permettent de s’entraîner longtemps et de progresser rapidement. Au fur et à mesure des entraînements, on répète tant et tant les mêmes mouvements qu’on est par la suite capable de les faire dans presque toutes les circonstances, et à n’importe quelle hauteur; c’est comme si on avait couru très longtemps sur un terrain de graviers et que d’un coup on courait sur un terrain de béton, ça ne change rien, on court toujours !

 

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C’est que en tant qu’autodidacte que vous êtes freerunner ou bien il y a une communauté qui essaie de transmettre la pratique ?

La pratique, médiatisée en 2000 grâce au film de Luc Besson, Yamakasi, est née dans les années 1990. Aujourd’hui en 2016, cela fait 3 ans que nous travaillons avec la mairie de Paris, et nous venons d’ouvrir en janvier dernier la French Run Académie basée dans une salle à Châtelet, dans laquelle nous donnons des cours à des jeunes et des moins jeunes, la fourchette d’âge allant de 7 à 47 ans ! La transmission de cette discipline est pour moi quelque chose qui me tient vraiment à cœur ; mais ce n’est pas pour autant que je vais pousser des gens à monter sur les toits de Paris, car j’ai pleinement conscience que ce que je fais est clairement extrême !

 

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A quelle fréquence montez-vous sur les toits ?

Il n’y a pas une journée où je n’y vais pas ! C’est là-bas que je fais mes étirements. Quand je pars sur les toits, je pars à l’aventure, je visite Paris, je divague dans les rues sans vraiment savoir où je vais, et dès que j’aperçois un accès pour monter je l’emprunte, je suis des gens qui rentrent dans des cours, puis je monte, j’escalade où je peux, de telle façon que je ne cesse de découvrir des endroits. Je ne sais pas si c’est fou mais c’est passionnant pour moi !

Quelles sont les surprises que vous réservent les toits ?

Il y a beaucoup de styles différents de surprises ! Parfois des gens qui m’invitent à boire un café, donc je passe par leurs fenêtres et je parle longtemps à de complets inconnus, et parfois je repasse les voir par les toits ! Il y a d’autres surprises moins positives, des gens qui nous menacent, qui ne comprennent pas ce qu’on fait sur les toits, j’essaie de ne pas rentrer dans le conflit car je sais que c’est moi qui n’ai rien à faire ici.

 

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Mis à part le côté très physique de votre activité, y-a-t-il une philosophie de vie qui s’en dégage ?

Pour tout vous dire, j’ai du mal à définir les causes pour lesquelles je monte sur les toits, je sais simplement que je fais ce que j’ai envie de faire. Quand je partage ma passion, quand je véhicule la discipline que j’exerce, je fais attention à ne pas influencer les gens, non pas pour ne pas être plagié, mais pour ne pas les mettre en danger, car j’ai bien conscience que ce que je fais est assez extrême. Si j’ai un seul message à transmettre, c’est que tout est envisageable, il faut juste y croire assez fort.

La prise de risque et la transgression des règles font partie de l’art que vous exercez, comment les abordez vous ?

Ce sont les deux points que je n’aurais pas cités si on m’avait demandé ce que je vais chercher là-haut ! L’adrénaline ? Je ne la ressens pas quand je suis sur les toits. Je suis comme tout le monde, je ne m’approche pas de quelque chose qui m’apparaît comme dangereux, comme effrayant. Si je vais sur les toits ce n’est pas pour rechercher des sensations fortes, mais parce que j’aime y aller ! Je ne suis pas effrayé quand je monte là-haut, parce que j’ai toute confiance en moi.

Là-haut il y existe une séparation, un contraste avec ce que je vis en bas, un contraste avec l’oppression du regard des gens, avec la morosité ambiante à Paris. J’essaie de véhiculer la joie de ce que je vis en hauteur, mais en bas c’est être une lumière allumée alors qu’il n’y a pas d’ampoule. C’est une dépense d’énergie énorme, et je n’arrive pas à trouver de juste milieu entre l’énergie qu’on me renvoie et celle que je fournis. C’est assez perturbant d’être en bas… le contraste est d’autant plus fort quand on monte en haut, tout d’un coup tout est statique et silencieux, une sérénité incroyable s’instaure. Et c’est finalement ce contraste dont le suis à la recherche lorsque je monte sur les toits, non l’adrénaline, ni l’interdit. Je suis d’ailleurs désolé que ce soit un interdit, ça m’embête de gêner des riverains à qui je fais peur lorsqu’ils m’aperçoivent, ce qui est plutôt rare car la plupart du temps je m’efforce de passer inaperçu.

 

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Y a-t-il un challenge en particulier que vous aimeriez affronter, des toits que vous aimeriez explorer ?

Il m’arrive de me confronter à des « challenges », mais jamais en une seule fois : cela peut prendre beaucoup de temps avant que je m’y confronte, le temps de réfléchir ! Dès qu’il y a du danger, je me lance dans l’entraînement ; si je ne suis pas confiant par rapport à quelque chose que je voudrais faire, alors il faut que je devienne plus confiant, donc je travaille ma confiance, pour pouvoir le faire. Je ne veux pas prendre de risque inconsidéré.

J’adore l’idée d’arrêter des images, de les mettre bout à bout et de créer des choses auxquelles je suis sensible. A travers la photo et la vidéo je me fixe ainsi beaucoup d’objectifs ! Ce que vous appelez challenge, je l’appelle objectif, que je travaille et que j’atteins.

Mes prochains objectifs sont l’arche de la Défense, prévu depuis assez longtemps, et d’autres bâtiments de Paris : on est actuellement en négociation avec la mairie de Paris pour obtenir des autorisations de tournage pendant une année afin de grimper sur des monuments parisiens (Louvre, Tour Eiffel…).

Avez-vous des projets ou des activités que vous menez en ce moment ?

Mis à part l’enseignement qu’on donne à Châtelet, nous nous lançons dans le spectacle : on produit un spectacle qui s’appelle Zéro Degré, qui intègre la pratique du freerun au spectacle vivant. Nous nous déplaçons dans des lieux de créations en France mais pas seulement ; dernièrement nous avons tourné une vidéo sur les toits de la place de la bourse à Bruxelles.

Pour ma part je travaille également pour Red Bull afin de juger des compétitions en Chine. Plus je vis, plus les opportunités se créent ; si j’avais emprunté un chemin bien défini je pense que je m’empêcherais de les voir, je suis ouvert à toutes les nouvelles perspectives !

 

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Qu’est-ce qui vous plaît le plus quand vous montez sur les toits ?
J’apprécie énormément Paris, ville à la fois très grande et très petite, on se perd dans une immensité faite de contrastes magnifiques à contempler de haut… c’est quelque chose de tellement fou et de tellement beau ! Pour moi tout est très positif quand on l’observe depuis un toit.

Quelle est la différence entre monter sur les toits de Paris et monter sur les toits d’autres villes ?

Les toits de Paris sont des toits haussmanniens, avec du zinc, et de par ce fait, les toits sont plus plats, moins fragiles, plus accessibles, tandis que dans d’autres villes ce sont des tuiles, des ardoises, ce qui est moins pratique pour le freerun. Paris est une des seules villes dont les toits sont accessibles vraiment partout.

Y a-t-il des quartiers que vous affectionnez plus particulièrement ?

Montmartre en termes d’accessibilité est un quartier incroyable ! Sentier aussi, car c’est le quartier de grossistes de tissu, et beaucoup de portes sont ouvertes de telle manière qu’on parvient assez facilement à entrer dans les cours. Le 13e arrondissement, vers Olympiades, est un quartier assez intéressant car l’architecture y est assez démesurée, tout prend de la hauteur. Mais s’il y a un endroit où je veux aller en particulier, je trouve forcément un accès.

De jour ou de nuit ?

Ce sont deux ambiance clairement différentes ! Je préfère néanmoins les toits de jour, pour la simple et bonne raison que je n’ai pas une excellente vue, et la nuit c’est plus compliqué pour moi. Paris le jour est bien plus vaste, on peut y voir bien plus de détail, avec un horizon plus dégagé, il y a plus de nuances dans les couleurs… Depuis les hauteurs le coucher de soleil est tout simplement incroyable, les nuances ne sont jamais les mêmes, c’est un spectacle qu’on ne voit pas quand on est dans la rue, on peut seulement l’apercevoir, mais pour le contempler dans toute sa beauté c’est sur les toits !

La rencontre la plus insolite ?

J’ai un ami en haut que je croise souvent, Alain, qui, à chaque fois que je passe, s’empresse de sortir pour discuter avec moi, et je ne l’ai jamais croisé au sol ! J’ai appris dernièrement qu’il nous défendait dans tout l’immeuble car son voisinage se plaignait du bruit causé par certaines personnes qui montent sur les toits de nuit, car évidement nous ne sommes pas les seuls à arpenter les toitures parisiennes. Cependant si nous y allons de nuit, nous ne courons pas, nous sommes dans nos hamacs, nous faisons très attention de ne jamais de bruit. Alain, qui me connaît bien maintenant, sait que ce n’est pas dans notre mentalité d’aller embêter les gens en pleine nuit.

 

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Un souvenir en particulier ?

Étant donné que j’y vais tous les jours et que je vis tous les jours des choses assez différentes là-haut, j’ai énormément de souvenirs sur les toits. J’apprécie le fait d’entrer en interaction avec les gens car c’est toujours intéressant et enrichissant de rencontrer des personnes dans un contexte aussi décalé que celui des toits. Ce que j’aime par-dessus tout c’est de partir à l’aventure et de voyager dans Paris, visiter Paris sous toutes les coutures et depuis toutes les perspectives.

 

Infos pratiques

French Freerun Family – La Fabrique Royale

71/75 rue des Martyrs
75018 Paris

Tél : + 33 (0)1 46 06 05 89
Site : www.lafabriqueroyale.fr