Rencontres

Alain Cornu – Photographe des toits Parisiens (la nuit)

Voir Paris différemment

Né en 1966 à Decize (Nièvre) Alain Cornu vit à Paris, où il exerce la profession de photographe. Dans les années 1980, il apprend la photographie à l’école des Gobelins, pendant 2 ans. Il sort major de sa promotion en 1988. En tant que photographe, il travaille en studio pour de nombreux clients qui lui commandent principalement des natures mortes et des portraits. Parallèlement à ça, il s’intéresse aux paysages urbains ou de natures et notamment aux forêts. Amoureux de la ville de Paris, il a entamé en 2009 une série de photographies des toits parisiens « Sur Paris » qui s’accompagne d’une nouvelle qu’il a imaginée suite à ses nombreuses escapades nocturnes.

« À l’extérieur, on prend des morceaux de réalité »

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Je viens de Bourgogne. J’ai fait des études axées sur l’art plastique, j’ai commencé le dessin, beaucoup de dessin, de peinture et également un peu de sculpture. Je suis monté à Paris pour faire des études en sachant que ça allait être dans l’image. J’ai commencé des études de cinéma, cela ne me plaisait pas trop.  Je me suis donc réorienté vers la photo et j’ai trouvé ma voie, à la fin des années 90. J’ai fait deux années d’études à l’école des Gobelins en section prise de vue. On apprend à peaufiner la technique avec le studio, la lumière… C’est vraiment très important. Il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui sont photographes sans avoir appris le métier. C’est un métier qui s’apprend. Ce n’est pas simplement parce qu’on a un appareil photo qu’on est photographe. Pour moi être photographe c’est certes faire des projets personnels mais aussi répondre à des commandes pas forcément sexys. Savoir répondre à un cahier des charges, c’est ça être professionnel pour moi. Donc, on apprend beaucoup dans cette école d’un point de vue technique. Après on apprend aussi beaucoup en étant assistant, comme l’est Elisa en ce moment qui fait son stage chez moi. J’ai appris beaucoup en tant qu’assistant pendant deux ans puis je me suis installé en tant que photographe indépendant début des années 90 avec des prises de vue pour la publicité, des commandes. Pendant dix ans j’ai vraiment fait que ça, je voulais vraiment creuser le sillon de cette problématique de prises de vues de commandes. Cela me plaisait beaucoup et me plait toujours beaucoup mais à un moment donné j’ai ressenti le besoin de m’exprimer. Il faut à peu près dix ans de métier de photographe pour bien l’exercer et grandir en maturité. A partir de là, j’ai commencé à développer des projets personnels plutôt en extérieur. Ca contrebalance du studio ou l’on est simplement en lumière artificielle et où l’on construit tout. A l’extérieur, on prend des morceaux de réalité. C’est de la récréation. Créer une photo de toute pièce c’est plus compliqué, ça nécessite de faire des dessins, de conceptualiser, d’être dans la symbolique ou de raconter une histoire. Ce n’est pas toujours facile, surtout lorsque l’on photographie comme moi beaucoup de natures mortes. C’est génial à faire mais cela demande beaucoup plus de travail que sortir et prendre la réalité qui est là.

 

Pourquoi avoir choisi comme objet photographique les toits de Paris la nuit alors que vous travaillez d’habitude plus sur des paysages de nature ?

Comme je vous disais, je viens de Bourgogne. Je vais remonter le fil car je pense que c’est important. Une partie de mon travail de paysages qui se situe dans la nature, notamment dans la forêt car j’y retrouve les notions du dessin. Les arbres deviennent des sortes d’entrelacs de traits comme du dessin. Prendre ces morceaux de réalité me permet d’être un peu dans le dessin. Il s’agit pour moi de réorganiser tout ça. Quand on cadre on réorganise le chaos. Dans une forêt, on a l’impression que tout est chaotique, fait n’importe comment alors qu’en fait, c’est très organisé la nature, on le sait. Tout est imbriqué, tout est connecté. Une autre partie très importante de ma vie se situe à Paris. S’est donc posée rapidement la question de photographier les endroits où je vis. Il est nécessaire d’avoir une certaine légitimité pour moi pour développer des sujets photos. Bien sûr, on peut partir en Antarctique faire des photos, ça peut être génial, mais quelle légitimité ai-je à être là-bas ? Je ne suis pas de là-bas, je fais de la photo exotique. Parfois je le fais, je suis allé en Inde faire des portraits, j’ai trouvé cela génial mais cela manque de profondeur. C’est de l’esthétique mais il faudrait vivre là-bas pour être dans quelque chose de sérieux. Quand je suis à Paris et que je monte sur les toits, je raconte une partie de ma vie. Je me sens assez légitime à le faire de ce fait. Pourquoi ai-je commencé à monter sur les toits ? J’aime bien partir en montagne, monter, m’équiper, savoir que ça peut être un peu dangereux tout en faisant attention. On met des bonnes chaussures, on prend son sac à dos avec son matériel et on ne part jamais seul. C’est pour cela que j’ai commencé à faire cette série des toits, il y a maintenant huit ans. Je ne savais pas trop où cela allait m’emmener parce que je me disais « je vais peut-être faire trois photos avec la tour Eiffel et vite m’ennuyer ». Et finalement, je ne me suis pas du tout ennuyé. J’y suis huit ans plus tard et j’ai découvert tout un monde. Ça devient la mode des rooftopers et c’est vrai que les toits sont un monde où l’on a envie de retourner.

 

Les toits de Paris de par le matériau utilisé, le zinc, et sa couleur bleutée donnent l’impression d’une certaine uniformité. Comment la photographie peut-elle montrer la diversité qu’il existe ?

Quand on habite Paris, on connaît la ville d’en bas, on connaît les rues, surtout quand cela fait longtemps qu’on y habite et qu’on s’y promène. Quand on monte là-haut, la rue qu’on connaît hyper bien devient méconnaissable. Cela devient un autre monde. A chaque fois, on connaît parce que quand on voit la Tour Eiffel au loin on sait qu’on est à Paris mais c’est une autre perspective et une découverte. Pour exprimer cela, je le fais de manière très simple en prenant ce que j’ai devant les yeux. Ce n’est pas très compliqué. La lumière me paraît très importante, c’est pour ça que je fais mes photographies la nuit. Beaucoup de gens font des photos de jour, on peut le voir sur Instagram. La nuit, la notion de lumière artificielle dicte la composition de la photo.  C’est quand j’ai une lucarne allumée, un monument, les lumières de parties communes qui éclairent l’escalier que je décide si je fais où non ma photo. Souvent je peux cadrer une chose et si elle s’éteint, je fais autre chose. Contrairement à mes photos de forêts qui sont un jeu de traits, mes photos de Paris ne sont qu’un jeu de lumières. Donc je peux aller sur un même toit un soir où l’autre, je ne vais pas voir la même chose, car ce qui est allumé est différent et la photo n’aura pas la même structure. Finalement, ce n’est pas moi qui compose les photos mais la lumière qui est là et les gens qui décident d’allumer ou non. Evidemment je ne peux pas intervenir, je ne vais demander aux gens qui sont souvent dans l’immeuble d’en face d’allumer la lumière. Cela m’est arrivé une fois, pour une lucarne, pour une photo très simple où l’on ne voit que cette lucarne. Il était tard, j’avais cadré, j’étais sur un échafaudage. La personne a éteint, alors je lui ai dit : « Monsieur, monsieur vous pouvez rallumer ? » et le gars est sorti de sa lucarne en se demandant qui j’étais et a accepté de rallumer. C’est la seule fois où je me suis permis d’intervenir.

 

Il fait nuit noire quand vous prenez vos photos ?

En général oui mais ça peut etre aussi en tombée de nuit, au crépuscule parce qu’on a un peu de bleuté. Il y a un peu plus de lumière et il y a déjà de la lumière artificielle car les gens commencent à éclairer chez eux. Je ne retouche pas du tout les lumières, je laisse les paysages comme ils sont.

 

« Quand on cadre on réorganise le chaos. « 

Comment les artistes Caillebotte, Van Gogh ou Brassaï ont-ils pu vous servir d’inspiration pour le projet Sur Paris ?

Quand on va au musée d’Orsay on voit ces images du Paris du XIXème siècle. Paris, c’est Haussmann, avant Haussman il n’y a pas de zinc. C’est toute cette période de la peinture impressionniste dont je me suis nourri et dont beaucoup se nourrissent. On peut dire l’impressionnisme que c’est un peu un âge d’or de l’image, dans notre inconscient collectif. Cette période est également aussi une espèce d’âge d’or de Paris. On est héritier d’une ville fastueuse, qui l’est toujours mais un peu moins. En 1900, tous les artistes viennent à Paris, comme Picasso par exemple. Le monde entier vient à Paris après ça se déplace sur New York, etc. Il y a une certaine nostalgie à voir que Paris, notre ville a été tant peinte et c’est vrai qu’on est influencé par ça.

 

Comment vous est venue l’idée d’écrire une nouvelle pour accompagner les photos ? Que raconte cette nouvelle ?

La nouvelle, je suis content que vous me parliez de ça. Quand j’ai eu l’idée de faire ce livre, j’ai trouvé que j’ai une façon onirique de voir les choses. Je ne suis pas dans le documentaire. Je montre des toits, sans prétention, de manière plutôt poétique. Donc j’ai trouvé que si je ne montrais que des photos sans support écrit, ce ne serait pas suffisant ; j’ai cherché des gens qui pourraient écrire sans en trouver. Ils n’étaient pas disponibles, pas joignables où ça ne les intéressaient pas. Je me suis dit que j’avais noté plein de choses et j’avais fait travailler des amis qui sont dans l’écriture. Mais les débuts de ce qu’ils avaient écrit ne me plaisaient pas et ne me parlaient pas. Tout simplement, quand on est monté sur les toits, il y a des notions toutes bêtes, des détails qu’on remarque. Quand on n’y est pas allé et qu’on raconte qu’on est sur un toit, cela créé un décalage. Donc comme j’avais des envies d’écriture et que dans la vie il faut s’autoriser les choses, je me suis dit « Ecris ! ». Les gens m’ont encouragé et je m’y suis mis et j’y ai pris du plaisir. Ça vaut ce que ça vaut mais c’est une nouvelle fantasmée, un peu autobiographique puisque je parle d’un photographe qui monte sur les toits de Paris la nuit. J’ai transcris ce que j’ai vécu, j’ai souvent ressenti une notion d’habitude et de dépaysement. On habite là et finalement on monte au-dessus et on se rend compte se rend compte d’autre chose alors que ça fait 5 ans qu’on vit ici. Et cette sensation-là me parlait. Cette notion presque d’interdit.

 

Lors de votre projet, qu’est-ce qui vous a le plus surpris sur les toits parisiens ? Qu’ignoriez totalement qui vous a marqué ?

En montant sur les toits, ce que je n’avais pas anticipé, c’est toutes les rencontres que j’y ai fait. Qu’est-ce que c’est les toits ? Ce sont soit des gens qui ont beaucoup d’argent et qui ont des terrasses, qui sont dans des conditions de luxe très prononcées. Ou alors ce sont des gens qui n’ont pas du tout d’argent et qui habitent dans des chambres de bonnes, comme des étudiants ou parce qu’ils n’ont pas les moyens d’habiter ailleurs. Ce sont des rencontres très intéressantes, je me souviens d’une étudiante qui avait des conditions de vie difficile, elle n’avait pas d’électricité chez elle, on pouvait à peine se mettre debout, elle avait des bouquins partout on se serait cru au XIXème siècle. Je me demande même si je n’ai pas imaginé tout ça. En plus pour arriver chez elle, c’était un dédale de couloirs. Ce n’était pas loin des Grands Boulevards, juste vers la rue Rougemont. A l’inverse, c’était un appartement dans le IXème arrondissement, un patron du CAC40 qui a des terrasses, un duplex, qui très gentil m’avait dit « Allez-y, faites ce que vous voulez ». J’ai fait des rencontres que je n’imaginais pas, de gens très bienveillants, encore une fois comme lors des séjours en montagne. Je fais beaucoup de photos l’hiver parce qu’il me faut une couverture nuageuse, je ne peux pas faire de photos quand il fait trop beau. Il me faut des nuages, qui redonnent de la lumière, qui ré-adoucissent l’ambiance. Quand on monte sur les toits, on monte par un vasistas chez des gens et quand on redescend, ils nous ont préparé une soupe, où un truc, comme si on était dans un refuge de montagne. Il est tard, on lâche des confidences, on lâche un peu les rênes. C’est très sympa. Et puis si on veut parler purement esthétique, je suis surpris de trouver toujours des points de vue magnifiques de toits imbriqués qui mettent en exergue le travail des couvreurs dont on parle peu. C’est quand même une ville qui s’est construite par strate. On a la chance, contrairement à Londres qui a été partiellement détruite pendant la guerre et qui a un bâti très hétéroclite, d’avoir de la cohérence. Paris, c’est une accumulation de siècles avec un Paris du Moyen-Age, si on regarde la Tour Saint Jacques ou la Sainte Chapelle, et puis si on regarde Beaubourg, la Tour Montparnasse on est dans le XXème siècle. Malgré ces différences, il subsiste une différence car tout est au même niveau, du fait de lois qui obligent à ne pas dépasser un certain niveau. On est dans de l’hétéroclite cohérent qui se nivelle et qui produit des résultats très esthétique.

 

Y-a-t-il un autre sujet emblématique du paysage parisien sur lequel vous aimeriez travailler ?

Je n’ai pratiquement rien fait, ça peut être le travail d’une vie. J’ai une référence ultime c’est Eugène Atget qu’on beaucoup de photographe. Il a photographié Paris toute sa vie pratiquement, il n’a fait que ça. Et il a documenté le Paris de 1880 à 1920-25 en allant des poignées de portes, aux cours intérieures, aux escaliers, aux métiers, aux magasins, aux bâtiments, aux parcs, etc. tout en restant très modeste dans sa démarche. Il disait : « je fais de la photo documentaire ». Et c’est un travail passionnant d’être sur le long terme et j’avoue que j’aimerais continuer cette série. Je suis loin d’être à la fin, c’est impossible. J’aimerais bien continuer à me promener sur les toits de Paris. Après j’ai des exigences de météo qui font que je ne peux pas sortir tous les soirs comme je le voudrais. Je ne fais finalement tant de photos que ça. Je n’ai pas une production en termes de nombre de photo comme je le voudrais. Mais c’est comme ça.

 

« Quand on monte là-haut, la rue qu’on connaît hyper bien devient méconnaissable. Cela devient un autre monde. « 

Comment définiriez-vous l’esprit des toits de Paris ?

Il y a un esprit des gens qui s’intéressent aux toits. Ca devient une communauté. Le rooftop, les restaurants en terrasse, les toits végétalisés, les ruches sur les toits deviennent à la mode. Il y a certainement un esprit des gens qui montent et qui s’intéressent à tout ça. Ca reste un petit groupe, vous êtes là aujourd’hui pour m’interroger dont vous aussi êtes dans ce « trip » là.  Il y a un esprit comme celui des gens qui aiment la montagne et qui la pratiquent. Il y a un esprit difficile à définir. On peut parler tout de même d’un esprit contemplatif. Ce sont des gens qui aiment regarder, contempler, prendre le temps.

 

Vous travaillez beaucoup sur la comparaison avec les objets comme dans les projet Portraits, Versus ou encore Objets Trouvés ? Pensez-vous que les toits parisiens puissent être comparé à un objet ? Lequel ?

Ce qui s’apparente à mon travail de studio, c’est le zinc. Ce n’est pas tellement un objet, c’est une matière. Bien que ça deviennent un objet parce que le zinc, c’est gris mat et que ça prend toutes les couleurs que l’on veut. Si c’est un soleil couchant, on va plutôt être dans les jaunes, si c’est un ciel orageux dans les bleutés, s’il y une lumière verte qui se reflète dessus, il devient vert. Bref il prend les toutes les couleurs, il se marie avec son environnement. On le reconnaît à ses interstices. Dessiner un bout de zinc, c’est facile, vous faites deux très horizontaux et puis des traits en biais et on comprend tout de suite que c’est un toit de zinc. Donc je le prends comme un objet. D’ailleurs, dans une série limitée pour mon livre, j’ai fait un coffret en étain. J’ai refait un morceau de toits de Paris. Ça devient ici un objet. Je me suis amusé, je l’ai fait de mes propres mains et ça a l’aspect du zinc. Je voulais mettre une lucarne, je ne suis pas allé jusque-là. Mais je me suis approprié le zinc comme un objet.

 

« En montant sur les toits, ce que je n’avais pas anticipé, c’est toutes les rencontres que j’y ai fait. « 

Quels sont les meilleurs endroits que vous avez vus sur les toits ? Qui vous ont le plus impressionnés ?

Ce sont des lieux qui ne sont pas forcément très connus. J’aime beaucoup le IXème arrondissement, ce qu’on appelait la « nouvelle Athènes » au XIXème siècle. C’est un quartier particulièrement bien loti, avec des cours intérieures, des toits de zinc. J’avais un spot dans la rue du marchand de couleurs de Van Gogh, le Père Tanguy, qui habitait rue Clauzel. C’est un très bon spot où j’ai fait pas mal de photos mais c’est un truc personnel, j’y ai pris pas mal de plaisir.