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Olivier Faber – co-fondateur de Roofscapes

Peux-tu nous présenter Roofscapes en quelques mots ?

Olivier : Roofscapes est une entreprise francilienne créée par trois cofondateurs : Eytan, Tim et moi-même, Olivier. Notre parcours a débuté huit ans auparavant, lorsque nous nous sommes rencontrés au début de nos études en architecture à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Pendant nos études ainsi que lors d’expériences dans des bureaux d’architecture, nous avons été frappés par le manque d’investissement et d’innovation dans la rénovation du bâti face au dérèglement climatique. Les étés brûlants de 2018 et 2019 en Europe ont accru notre prise de conscience. Nous avons quitté nos emplois, obtenu une bourse pour terminer nos études aux États-Unis, et avons eu l’opportunité de lancer Roofscapes avec le soutien l’incubateur MIT DesignX qui accompagne chaque année des projets innovants en lien avec l’environnement bâti.

La mission de Roofscapes consiste à adapter le bâti existant au climat à venir, c’est à dire un climat pour lequel il n’a pas été initialement conçu. Notre approche est frugale et s’attèle à minimiser la démolition ou la suppression d’éléments. Nous nous sommes particulièrement concentrés sur les toits en pente pour lesquels il n’existe souvent pas de réponses efficaces en matière de rénovation résiliente.

Quelles sont les valeurs fondamentales de Roofscapes

Olivier : La sobriété est au cœur de notre approche. En tant qu’acteurs de l’industrie de la construction (la plus polluante de la planète avec 39% des émissions carbones mondiales et 35% de génération de déchets), nous cherchons à minimiser notre utilisation des ressources. Ainsi, plutôt que de concevoir des constructions neuves extrêmement gourmandes en matériaux, nous reconnaissons que l’immense majorité du bâti est déjà en place, et qu’il est critique d’en prendre soin et de l’adapter aux nouvelles réalités climatiques pour que les villes préservent leur habitabilité. Ces valeurs nous intiment donc de nous concentrer sur le patrimoine existant (notamment à Paris, avec ses toits en zinc) à l’élaboration de projets à faible empreinte carbone et fort potentiel environnemental. 

Quels sont les projets futurs de Roofscapes dans le domaine de la rénovation climatique ? 

Olivier : Notre objectif est de végétaliser et rendre accessible les toits en pente dans les centres-villes denses, en particulier à Paris. Nous développons actuellement plusieurs projets pilotes de plateformes légères en bois pour mesurer en conditions réelles l’impact de notre démarche et sensibiliser le grand public au potentiel des toits dans l’adaptation du paysage urbain face au dérèglement climatique. Notre volonté d’ouvrir les réflexions pour l’avenir des toits au grand public et à l’ensemble des acteurs de l’environnement bâti s’illustre notamment à travers les Paris Rooftop Days, un festival des toits que nous coorganisons avec la Chambre syndicale française de l’étanchéité et l’Association française des toitures et façades végétales.

Pouvez-vous expliquer les avantages environnementaux et sociaux associés à la création de toitures végétalisées ?

Olivier : Végétaliser un toit et le rendre accessible aux habitants offre de nombreux avantages. 

Du point de vue environnemental, cela contribue au rafraîchissement local de l’air grâce à l’évapotranspiration des plantes. Cela favorise la biodiversité urbaine en créant des zones de vie pour les pollinisateurs et des continuités écologiques à travers les villes. De plus, cela permet de retenir les eaux de pluie, ce qui réduit le ruissellement en cas de fortes pluies et renforce la résilience urbaine face aux précipitations croissantes. En ce qui concerne les îlots de chaleur urbains, nos plateformes ombrent les toits en zinc (qui sont sujets à la surchauffe) réduisant ainsi la chaleur à la surface des toits. Cette approche diminue la température de l’air au-dessus de la ville, contribuant à atténuer les pics de température et améliorant l’habitabilité de la ville lors les vagues de chaleur.

Sur le plan humain, si 70% de la surface des plateformes que nous concevons est couverte de plantes, le reste est accessible aux occupants des immeubles sous-jacents. Ces derniers se voient offrir l’accès à un lieu de partage et de vivre ensemble d’où ils disent pouvoir prendre conscience de la beauté et de la fragilité des écosystèmes vivants. 

Vous avez mentionné le festival des toits de Paris. Pourriez-vous en dire un peu plus sur cet événement et son objectif ?

Olivier : Roofscapes coorganise en effet les Paris Rooftop Days. Cet évènement a pour but de structurer le débat autour de l’adaptation des toits aux évolutions climatique et sociétale en invitant un large éventail d’acteurs. Lors de la première édition, nous avons invité des élus, des acteurs du patrimoine, des entrepreneurs, des concepteurs, des sociologues et d’autres professionnels à participer à des ateliers de discussion et de co-création. L’autre volet des Paris Rooftop Days à pour but de démocratiser, le temps d’un weekend, l’accès à des toits généralement fermés au grand public. L’ambition de ce festival vise à stimuler la réflexion collective sur la manière dont les toits peuvent contribuer aux politiques de rénovation résiliente tout en mettant en valeur ce patrimoine urbain trop souvent méconnu.

Comment vous assurez-vous que les bâtiments existants s’adaptent aux enjeux environnementaux et sociétaux tout en préservant leur patrimoine historique ?

Olivier : Nous partons du constat simple que les climats chauds s’éloignent chaque année un peu plus de l’équateur et se propagent dans des terres qui était historiquement plus tempérées. Les villes, à l’inverse, sont immobiles. Ces dernières sont donc tôt ou tard condamnées à être confrontées à des climats bien différents de ceux pour lesquelles elles ont initialement été construites. Cette réalité nous oblige à repenser la manière dont nous utilisons le patrimoine existant et à l’adapter à des exigences climatiques pour lesquelles il n’a pas été pensé. Préserver ce magnifique patrimoine, c’est lui donner la capacité de survivre aux inévitables dérèglements climatiques, c’est l’adapter, et ce le plus sobrement possible. Cette sobriété nous intime d’éviter tout remplacement superflu et d’opter pour des interventions ponctuelles et légères préservant l’intégrité de l’existant.

Nous abordons donc la question de l’adaptation des toits parisiens en partant du métier de couvreur. En effet, si les toits eux-mêmes sont statiques, inertes, figés, c’est dans l’expertise des couvreurs que réside l’âme et le caractère vivant des toits de Paris. Ce sont leurs mains et leur savoir qui font vivre cette mer de zinc. Nous travaillons donc main dans la main avec des entreprises de couverture et de charpente pour développer des solutions de rénovation résilientes qui respectent l’histoire et l’architecture des bâtiments.

Quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans la transformation des toits en espaces végétalisés ?

Olivier : Tout d’abord, il y a des défis techniques. Nous devions développer en amont le concept structurel de Roofscapes pour nous assurer que nos interventions soient réalisables. Nous avons dû travailler en étroite collaboration avec ingénieurs civils pour vérifier la faisabilité de notre approche. La plupart des immeubles parisiens ayant été construits à une époque où l’optimisation structurelle était moins poussée qu’aujourd’hui, il est souvent possible, après vérification de la capacité de reprise de charge, d’ajouter quelques charges supplémentaires. C’est ce qui a notamment rendu possible un certain nombre de surrélévations sur les immeubles parisiens au cours des siècles. Cette phase de compréhension structurelle a été cruciale et nous souhaitions lui accorder le temps nécessaire avant de nous lancer.

La transformation du paysage urbain est importante soulève par ailleurs une question d’ordre esthétique et il faut en permanence trouver un équilibre entre l’adaptation aux enjeux climatiques et le maintien de ce qui est déjà là. La recherche d’un tel équilibre nécessite un dialogue ouvert avec les acteurs de la préservation du patrimoine et toutes les parties prenantes qui souhaitent s’y impliquer pour s’assurer que les solutions qui garantirons l’habitabilité des bâtiments sur le long terme s’intègre dans une réflexion sur l’esthétique de la ville.

Enfin, il y a des défis liés à la ressource en eau, bien que la présence les lacs du bassin versant en amont de Paris rendent cette problématique moins critique en Île-de-France. Dans d’autres villes cependant, la disponibilité de l’eau est une préoccupation majeure, et nous travaillions à affiner des palettes végétales adaptées aux sécheresses à venir et des systèmes de rétention d’eau et d’irrigation qui minimisent autant que possible la consommation d’eau. Nous garantissions la résilience des écosystèmes vivants en prenant en compte leur maintenance dès la phase de conception de nos projets. 

Vous avez mentionné l’importance de la frugalité énergétique. Pourriez-vous expliquer davantage pourquoi elle est importante pour vos projets et pour la ville en général ?

Olivier : Les stratégies passives d’adaptation climatique permettent de réguler la température tout en maintenant une politique de frugalité énergétique. Celles-ci sont essentielles car elles sont un levier incontournable pour résoudre l’équation complexe dans laquelle l’environnement construit est actuellement plongé. 

  • D’un côté, la différence entre la zone de confort du corps humain et les températures extérieures augmente chaque année à cause du dérèglement climatique. 
  • De l’autre, la quantité d’énergie dont nous disposons pour corriger cette différence avec des systèmes actifs comme le chauffage ou la climatisation diminue à cause de la nécessaire réduction des émissions de carbone. 

En somme, nos bâtiments doivent préserver leur habitabilité tout en gérant des écarts de températures de plus en plus grands alors même qu’ils ont de moins en moins d’énergie pour le faire. Il est donc crucial d’adapter nos bâtiments afin qu’ils s’appuient sur des solutions passives en énergie. Ainsi, ils pourront protéger les habitants de ces nouveaux climats sans avoir recours à des systèmes gourmands en électricité ou combustibles. Pour en revenir à Roofscapes, la végétalisation des toits au moyen de plateformes en bois permet réguler naturellement la température des bâtiments et de la ville, grâce à l’évapotranspiration des plantes et en ombrageant les toits en zinc qui ont tendance à surchauffer. En cela, ces projets sont frugaux en énergie et tentent, dans un contexte de contraction énergétique, d’œuvrer pour améliorer la soutenabilité des villes. 

Pourriez-vous partager votre vision de l’impact de Roofscapes sur la transition écologique et sur le secteur du bâtiment, à Paris et éventuellement en France ?

Olivier: Notre objectif n’est pas de mesurer pas notre impact en chiffres, car nous ne souhaitons pas nécessairement de devenir une entreprise à la croissance rapide. En revanche, nous souhaitons changer la façon dont les toits sont perçus collectivement pour en faire de véritables lieux d’interventions architecturales à part entière. Notre ambition est d’aider à préparer la société à affronter les défis climatiques en tirant parti des toits qui représente un tiers de la surface horizontale de la ville. C’est une ressource considérable ! Nous voulons contribuer à ce changement de perspective et structurer le débat autour de l’adaptation au dérèglement climatique pour faire avancer les choses.

Pour finir, pourriez-vous nous dire ce que vous préférez dans les toits de Paris ? 

Olivier: Ce que j’apprécie le plus dans les toits de Paris, c’est la diversité qui est permise par leur unicité. Chaque toit est différent, mais tous font partie intégrante d’un ensemble cohérent. C’est fascinant de constater que, bien que ce soient tous des toits parisiens, ils ne sont jamais identiques. Chaque toit a ses particularités, avec des raccords de zinc ou d’autres éléments qui rendent chaque toit unique.

Cette diversité reflète en quelque sorte notre approche chez Roofscapes. Nous ne proposons pas un produit standardisé, mais plutôt une expertise adaptable qui peut être appliquée à une variété de toits. Nous cherchons à préserver cette spécificité tout en améliorant la résilience des toits parisiens et en contribuant à la transition écologique de la ville.

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Merci beaucoup, Olivier, pour cette entrevue passionnante et pour le travail important que vous effectuez avec Roofscapes. Votre approche de la rénovation résiliente des toits est à la fois inspirante et essentielle pour répondre aux défis environnementaux actuels. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans vos projets futurs.